Quatre jeunes designers dans le vent et plein d’avenir ? Ce sont bien sûr les 5.5 Designers. Du haut de leurs 5 ans et demi de collaboration (ils fêtent leur anniversaire cette année), ils font entrer le design dans nos intérieurs et dans une nouvelle ère. Rencontre.
“Notre objectif est de faire entrer le design là où il n’est pas”
“5.5 Designers”, alors que vous êtiez six et aujourd’hui quatre… D’où vient ce nom ?
Jean-Sébastien Blanc : Nous nous sommes rencontrés pendant de nos études. Au départ, nous avions juste choisi ce nom pour le projet “Reanim” que nous avons réalisé à l’issue de notre formation. Il en fallait un et comme nous étions cinq plus une sixième personne à mi-temps, ce nom générique s’est imposé. Et comme il nous a porté chance, on l’a gardé.
Vous vous êtes justement fait connaître par ce labo “Reanim”, un concept d’hôpital pour objets abîmés. Comment est née cette idée ?
Nous avions envie de faire un dernier projet avant de nous lancer dans la vie active. Et avec le succès qu’a rencontré “Reanim”, finalement c’est devenu le premier projet d’une nouvelle aventure. Pendant nos études, nous avions envie de mener cette réflexion qui remettait en question le statut du designer. Pour ne pas être frustré, on a voulu aller jusqu’au bout. Nous avons trouvé un partenariat avec le Secours Populaire et nous nous sommes lancés. C’était une façon de manifester contre la surconsommation. Dans notre société, rien n’est pensé pour être réparé. L’idée était de concevoir un nouvel objet en le réparant, de proposer une alternative à la consommation.
Vous collaborez à des univers aussi différents que la déco, la cuisine, le high-tech ou encore la salle de bains. La diversité dans la création est une motivation, un besoin… ?
Nous sommes très surpris et étonnés des différentes marques qui font appel à nous. Nous ne défendons pas un design stylistique. Quand on nous sollicite, nous n’essayons pas de plaquer notre univers mais, au contraire, de comprendre les besoins et l’envie à l’origine de cette rencontre. Cet état d’esprit nous motive et nous permet de passer facilement du luxe à la grande distribution.
Comment se passe la démarche de création au sein d’un groupe comme le vôtre ?
Les rôles de chacun se dessinent dans la durée. Il y a des compétences qui se distinguent. Nous créons ensemble pour avoir un univers et des compétences en commun. Ensuite, il y des collaborations où certains se sentent plus à l’aise d’où notre facilité à passer d’un domaine à un autre.
“”Nous avons l’impression de rapprocher le design du grand public”
A une époque où le développement durable prend de plus en plus de place, comment vous positionnez-vous ?
Nous sommes un peu fatigués de la surmédiatisation de cette problématique. Trop de marques basent leur communication sur l’importance du développement durable mais ne font pas grand-chose dans les faits. Il faut remettre en cause la façon de consommer et donc la façon dont on conçoit les objets. Nous essayons de créer des modèles qui durent et qui portent un message. Nous ne voulons pas que le développement durable devienne une tendance ou une mode car sinon cela passera. Il faut que ce soit une norme. C’est en nous, c’est générationnel. Nous pensons à ne pas jeter les objets mais à les réparer, à faire des choses qui durent. Un paradoxe dans une société où l’on encourage à créer des objets limités dans le temps pour que le consommateur investisse régulièrement.
Comment voyez-vous votre design ?
Avec “Reanim”, nous avons vraiment eu l’impression de rapprocher le design du grand public. Tout le monde a un meuble cassé. En le réparant, cela permettait d’amener un morceau de design dans les intérieurs. Nous parlons d’un design de transition. Nous essayons vraiment de réconcilier les consommateurs avec ceux qui produisent. Je crois que nos créations séduisent les plus jeunes comme les retraités. Ces derniers ont connu la guerre et se retrouvent dans cet objectif de ne pas tout jeter. Nous allons vraiment à l’encontre de la société de consommation. Nous fabriquons des petites séries limitées, nous aimons produire en France… Notre objectif est de créer des objets que les gens ont envie de garder, de faire naître un lien intime entre l’objet et son consommateur.
“Nous essayons de faire les choses avec passion et intensité”
Vous avez obtenu le grand prix de la création de la mairie de Paris. Vous êtes exposés et sollicités un peu partout : comment vivez-vous cette reconnaissance ?
Lors du projet “Reanim”, nous avons été très surpris d’être relayés par la presse grand public. Pour la presse pro, “nous crachions un peu dans la soupe”. Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup et le téléphone sonne de plus en plus. Nous sommes bien sûr étonnés de voir où nous en sommes sans avoir eu besoin de prospecter.
Donc forcément, nous en profitons et nous y prenons beaucoup de plaisir. Nous essayons de faire toujours les choses avec cœur et d’y mettre de la passion et de l’intensité. Nous essayons aussi de ne pas être victime d’un phénomène de mode mais, au contraire, de construire quelque chose de stable dans la durée.
Vous vous décrivez comme des adolescents qui n’ont pas forcément envie de créer dans la maturité. Vous espérez quoi quand “vous serez grands” ?
C’est vrai qu’on n’a pas forcément envie d’être mature. Par la suite, on aimerait donner de l’ampleur à notre travail, réfléchir à des objets plus complexes et pourquoi pas, développer des gammes pour des grandes marques. On aimerait continuer à être surpris par des partenariats soit avec des marques qui font rêver comme Alessi ou d’autres marques qui n’ont jamais fait appel à des designers. Notre objectif, c’est de faire entrer le design là où il n’est pas.
Quels sont vos projets ?
Nous fêtons notre anniversaire avec une exposition au Centre culturel français de Milan. Nous y vendrons notamment des objets du projet “Save the product” comme aux Puces du Design. Nos deux prochaines collaborations se feront avec Veuve Clicquot et les grands magasins italiens CoinCasa. Pour le premier, nous avons essayé de trouver une utilité au packaging qui permettra de créer une sorte de meuble pour entreposer le champagne. Pour le deuxième, il s’agit de créer une ligne d’objets dans un design démocratique.
Quatre designers dans le vent
Des jeunes designers qui ont une conception différente de leur métier et qui refusent les diktats de notre société de consommation ont-ils une chance de percer ? La réponse est oui et les 5.5 Designers en sont l’exemple parfait. Vincent Baranger, Jean-Sébastien Blanc, Anthony Lebossé et Claire Renard se sont rencontrés pendant leurs études et se sont découverts une vision commune du design.
L’éphémère ? Ils ne connaissent pas. Bien dans leur basket et dans leur génération, ils veulent offrir une alternative à un monde “zapping”. Un objet est cassé ? Ils le réparent. Des stocks sont voués à être détruits ? Ils le rachètent et le vendent lors de braderie. Ces justiciers du design et du développement durable, ces médecins des objets ont réussi à s’imposer. Mieux, ils ont séduits tous ceux pour qui le design ne signifiait pas grand chose. De la grande distribution au luxe, il n’y a qu’un pas. Les 5.5 Designers n’hésitent pas à le franchir pour notre plus grand plaisir.
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